Culture et psychiatrie au Mali
YIRIBA / L'arbre à palabres
Du 15 janvier au 15 juin 2008, la Ferme du Vinatier présentait une exposition consacrée à l’expérience initiée par le psychiatre français Jean-Pierre Coudray et le psychiatre malien Baba Koumaré au sein du service de psychiatrie de l’hôpital du Point G (Bamako/Mali) dans les années 1980. La restitution de cette expérience, qui a entraîné une modification radicale des pratiques de soin en vigueur, visait à nourrir une réflexion sur les enjeux cliniques et culturels du métissage des connaissances et des pratiques dans le domaine de la santé mentale.
A l’occasion du projet de saison de la Ferme, intitulé Dje Ka Taama - Voyageons ensemble, les éditions La Maison d’à côté ont publié Freud et les Jinés. Un psychiatre au Mali de Jean-Pierre Coudray. Ce manuscrit relate l’expérience malienne menée par Jean-Pierre Coudray et Baba Koumaré fondée sur l’adaptation des techniques traditionnelles au soin psychiatrique du Département de psychiatrie de l’hôpital du Point G.
L’ouvrage est accompagné d’un DVD reprenant les films et les témoignages issus des archives. Le support vidéo rend compte également de la situation actuelle de la prise en charge de la maladie mentale au Mali. Véritable écho de l’exposition de société présentée à la Ferme du Vinatier, il en constitue dès lors le catalogue.
Autour de cette exposition d’autres projets ont été mis en place.
DJE KA FO - PAROLES PARTAGEES – Colloque. Des chercheurs en sciences sociales, des professionnels en santé mentale et des acteurs culturels ont été invités à faire part de leurs réflexions et de leurs pratiques.
YE NI YAN YEKO NA FOKO - PORTRAITS D’ICI ET LA-BAS - Résidences et expositions photographiques l’hôpital du Point G à Bamako et l’hôpital Le Vinatier ont accueilli deux artistes en résidence. Les créations photographiques ont été exposées à la Galerie Le Bleu du Ciel à Lyon dans le cadre de la Biennale « Lyon septembre de la photographie » et à la Biennale de la photographie de Bamako.
Introduction
Alors qu’il est exceptionnel de voir aborder les questions de santé mentale dans les pays du tiers-monde, Jean-Pierre Coudray, psychiatre libéral installé à Marseille, arrive au Mali en 1981 dans le cadre d’une mission définie par le ministère de la Coopération. Il existe alors un seul service de psychiatrie dans le pays. Celui-ci, créé par les Français en 1958, soit juste avant l’indépendance, est abrité par l’hôpital général de Bamako, l’hôpital du Point G. Il s’agit en réalité de « quartiers de force », héritage de la colonisation, essentiellement destinés à l’isolement et à la contention physique.
Après l’indépendance, le nombre de malades augmente sans cesse et prend des proportions incontrôlables. Le « Cabanon », rebaptisé ainsi par les africains, est entouré de grilles et de barbelés. Il est composé de cellules d’isolement dans lesquelles sont enfermés 600 malades (hommes et femmes), abandonnés par leur famille, mourant de faim, l’administration n’ayant pas de quoi les nourrir. Il est fait état de viols de malades femmes par des militaires. C’est ce « drame humanitaire » qui a semble-t-il motivé l’envoi de J.P. Coudray alors que le Mali est, depuis 1968, un régime dictatorial.
La tâche est immense pour JP Coudray et B.Koumaré : il faut rétablir le dialogue avec les patients, renouer avec les familles, former le personnel, socialiser les malades, coopérer avec les guérisseurs, mailler le territoire national pour éviter tout déracinement.
« L’assistance psychiatrique est restée pendant fort longtemps au Mali le parent pauvre dans le dispositif de soins de santé. Elle était surtout l’apanage des praticiens traditionnels, la priorité dans le système de soins conventionnels de santé étant accordée aux pathologies infectieuses et nutritionnelles. Des années 1950 jusqu’au seuil des indépendances, seuls des quartiers de force servaient de système d’assistance psychiatrique. Appelés ‘’Cabanon’’ ces quartiers de force étaient destinés essentiellement à l’isolement et à la contention physique des malades mentaux. Leur capacité d’accueil était limitée à une vingtaine de patients pour la plupart issus du rang des tirailleurs sénégalais ».
Professeur Baba Koumaré, médecin responsable du service de psychiatrie du CHU du Point G, Bamako – Mali.
« Des années 1960 période de l’euphorie des Indépendances aux années 1970, l’effectif des malades ne cessa de croître du fait de la présence du premier psychiatre malien secondé d’un infirmier psychiatrique mais aussi de la rénovation et réhabilitation des infrastructures du Service. La capacité d’accueil ayant été quasiment quintuplée pour atteindre près de 110 lits, fut largement dépassée avec un nombre pléthorique autour de 600 malades. Cet état de fait a fortement compromis la capacité thérapeutique de l’unique Service de Psychiatrie.
Néanmoins cette période a contribué à asseoir la réalité du fait psychiatrique au Mali. Au début des années 1980, devant la faillite du système d’assistance en place basé essentiellement sur une psychiatrie de type asilaire à caractère carcéral, de nouvelles initiatives vont naître sous l’impulsion de deux psychiatres : un Coopérant Français Docteur Jean Pierre COUDRAY et son homologue malien Docteur Baba KOUMARE ; pour élaborer un programme de Santé Mentale conforme à la politique nationale de santé publique dont les maîtres mots étaient : déconcentration, décentralisation, humanisation, approche communautaire, complémentarité des deux systèmes de soins conventionnel et traditionnel, restauration de la communication entre les différents acteurs de la santé mentale ».
Professeur Baba Koumaré, médecin responsable du service de psychiatrie du CHU du Point G, Bamako – Mali.
« Les objectifs du Programme Santé Mentale visaient à :
- Réduire l’effectif des malades et la rendre compatible avec la capacité d’accueil du Service de Psychiatrie
- Rapprocher les lieux de soins, les lieux de vie des patients
- Améliorer la qualité des soins
- Assurer une meilleure couverture dans le domaine des soins de santé mentale
- Améliorer l’accessibilité et la disponibilité des médicaments psychotropes essentiels sous forme générique en DCI
- Favoriser une collaboration authentique et efficiente entre les deux systèmes de soins conventionnel et traditionnel. »
Professeur Baba Koumaré, médecin responsable du service de psychiatrie du CHU du Point G, Bamako – Mali.
Le voisinage des génies et des hommes
« En contexte bambara-malinké, le terme de jinè, le plus souvent traduit par « génie » ou par « diable », est un emprunt au djin arabe, et désigne une catégorie d’êtres surnaturels et la plupart du temps invisibles, socialement organisés sur le même modèle que la société malienne. Ils sont particulièrement présents en brousse, où ils se manifestent le plus souvent sous une forme animale, constituant un danger important pour quiconque pénètre le territoire dans lequel ils vivent (les chasseurs en particulier doivent se prémunir contre d’éventuelles mauvaises rencontres). …"
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
"…Ce qui explique que la notion de jinèbana (« la maladie des génies »), pouvant désigner certains troubles psychologiques, est synonyme de celle de kungobana (« la maladie de la brousse »). Il semble cependant que certains génies de la brousse, ayant favorisé la fondation de villages à l’endroit de leur résidence, soient devenus les génies protecteurs (ou (dugu) dasiri : « ceux qui ferment la porte du village ») de ces villages. Leur lieu de résidence (un arbre, un marigot, un rocher, une colline...) est alors préservé et le génie, frappé de divers interdits et objet de sacrifices, apparaît la nuit sous une forme animale (serpent, bélier, hyène, varan...) ou sous une apparence humaine, souvent féminine. Si l’on explique que l’électricité, en favorisant l’éclairage public, a fait fuir les génies des villes, les rumeurs concernant des femmes-génies ou des femmes mariées à un génie restent particulièrement nombreuses, même à Bamako ».
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
Le Jinébana ou la recherche d’un langage commun
Porter un diagnostic et nommer la maladie sont des actes thérapeutiques performatifs pour la personne concernée. Encore faut-il que le médecin et son patient partagent le même langage et attribuent aux termes du diagnostic un sens commun. Par exemple, en France, le champ lexical de la dépression a contribué à l’émergence d’institutions intermédiaires. Au Mali, cette fonction de prise en charge alternative à l’hospitalisation psychiatrique est remplie par les structures traditionnelles.
Il devient donc essentiel d’identifier dans la langue de la population les champs lexicaux permettant une orientation vers des structures de soin différenciées. JP.Coudray et B.Koumaré s’attachent donc à repérer d’une part les mots par lesquels les malades expriment en bambara leur vécu et leurs états affectifs, d’autre part les expressions utilisées par l’entourage pour qualifier les troubles de leur comportement. Ce travail permet entre autres d’identifier le terme de jiné bana (que l’on peut traduire approximativement par « trouble des esprits ») qui désigne bien une maladie, relevant d’un traitement, et qui s’oppose au Fa, la folie, qui ne dépend que de la volonté divine. Les deux psychiatres utilisent dès lors le jiné bana comme un concept opératoire dans le lien qu’ils nouent avec les malades et les familles.
La langue bambara-malinké
« Le Bambara et le Malinké, parlés au sud-ouest du Mali et dans les régions limitrophes, sont deux langues du même groupe linguistique, le groupe mandingue, qui est, avec le groupe haoussa, le plus important groupe d’Afrique de l’Ouest. Le Bambara est la langue véhiculaire la plus parlée du Mali, qui compte une langue officielle (le français) et douze langues nationales. C’est la langue de Bamako, la capitale. Elle a subi de nombreuses influences, dont les plus importantes sont bien sûr celle de l’arabe (support de l’Islam) et celle du français (langue du colonisateur) ».
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
« Outre de nombreuses différences grammaticales (absence de genre par exemple) par rapport au français, le bambara a la particularité d’être une langue à tons, les tons consistant en des variations plus ou moins perceptibles dans la prononciation des voyelles, mais qui suffisent à changer entièrement le sens du mot. Du sens le plus concret à l’abstraction la plus grande, toute une gamme de significations se développe ainsi à partir de mots proches phonétiquement mais qui, dans le jeu de la prononciation et l’art de la parole, s’organisent en une véritable littérature orale dont les formes les plus connues sont les proverbes, les devinettes et les contes ».
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
La coupole à palabres ou la prégnance du collectif
La promotion d’une pratique psychiatrique fondée sur la tradition de la résolution des problèmes par une instance collective en Afrique se traduit par la construction d’une case à palabres. Au cœur du service d’hospitalisation, surmontée d’une coupole ouverte sur le ciel, elle accueille dans un espace circulaire chaque malade en présence de l’ensemble de l’équipe soignante et de la famille. La forme de la coupole permet une acoustique de qualité favorisant l’expression et l’écoute de chacun tandis que l’ouverture en arceaux sur six côtés en fait incontestablement le seul endroit frais et ventilé où se réunir.
Palabres, paroles et griotisme
« L’arbre à palabres fait partie des images de l’Afrique de l’Ouest héritées du colonialisme (le mot « palabres » a d’ailleurs autrefois désigné les présents offerts par les commerçants européens aux rois africains), et reprises aussi bien par les agences de voyage que par les Maliens et leurs voisins francophones. Si l’habitude de tenir conversation à l’ombre des arbres est réelle, il faut cependant noter l’importance du vestibule (pièce d’entrée dans les concessions) comme lieu de discussion avec les visiteurs ou le fait que les chefs de village s’abritent le plus souvent sous des hangars de branches. Au pays dogon, c’est une véritable salle de réunion (plusieurs piliers supportant un plafond imposant mais bas), la toguna, qui servait au conseil de village.
D’autre part, en contexte urbain particulièrement, sont apparus, peu avant l’Indépendance, des groupements de discussion nommés grins, conçus à l’origine comme des marges de liberté, et qui regroupent aujourd’hui essentiellement les hommes, par classe d’âge, autour d’un thé ou d’une belote. Plusieurs autres regroupements masculins et féminins, plus ou moins associatifs, existent par ailleurs. Les spécialistes de la parole quant à eux, que l’on appelle les griots ou jeli et qui constituent une sorte de caste, continuent d’être les supports de la tradition orale, les louangeurs et historiens des familles auxquels ils sont attachés, et interviennent dans tous les évènements marquants de la vie des Maliens ».
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
« En mai 1988, Missima, étudiant de 20 ans, se présente à la consultation de psychiatrie de l’antenne de Koutiala. Il est envoyé par un médecin généraliste qui l’a traité pendant six mois pour insomnie et tachycardie. Hésitant sur le diagnostic, le psychiatre lui prescrit un anxiolytique. Une dizaine de jours plus tard, Missima va plus mal et on décide de l’hospitaliser dans le service de médecine interne. Sa mère, veuve depuis quatre ans, lui sert d’accompagnant. Comme elle ne peut payer les médicaments, on fait appel au Secours catholique malien. Après 15 jours d’hospitalisation, le malade va mieux et sort. Le psychiatre rédige un certificat médical afin de l’exempter des examens du mois de juin. Mais il revient peu de temps après, expliquant qu’il est en train d’être « transformé » et qu’il entend des voix derrière sa nuque.
Selon sa mère, Missima est « travaillé » par son oncle qui, à la suite d’une brouille avec son frère, aurait juré de se venger sur ses enfants après sa mort. C’est pourquoi il est empêché de réussir dans la vie. Tout en envisageant un diagnostic de schizophrénie, le psychiatre encourage la famille à suivre les conseils du marabout qui préconise d’aller demander pardon à l’oncle. Une semaine plus tard, Missima revient très agité : l’oncle a mal reçu la famille et a refusé le poulet de pardon. Le psychiatre prescrit une dose plus importante d’anxiolytique et propose à la famille d’aller voir un guérisseur pour trouver une solution traditionnelle à la malédiction de l’oncle. Au mois de septembre, Missima est revu en consultation. Il porte des amulettes autour du cou, de la poitrine et des bras et va de toute évidence beaucoup mieux. Il explique qu’il vient de décider d’arrêter ses études. Le psychiatre intervient alors pour lui trouver un emploi. Quelques temps plus tard, Missima passe à la consultation pour dire bonjour et « ça va ».
Isabelle von Bueltzingsloewen, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lumière Lyon 2 et membre du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA).
Les cases de passage ou le maintien des liens familiaux
L’introduction de la famille dans la dynamique thérapeutique se concrétise par la construction de cases de passage permettant d’accueillir un accompagnant par malade. La présence de cet accompagnant (souvent une femme qui cuisine et lave le linge) permet d’écourter le séjour et de ne pas perdre contact avec la famille. La permanence de ce lien facilite grandement la réintégration du malade parmi les siens.
La prégnance de la famille dans la vie sociale au Mali apporte un caractère particulièrement vital à l’acceptation du malade par sa famille. Le service de psychiatrie de l’hôpital du Point G est spatialement organisé sur le modèle des villages traditionnels.
Familles, concessions, mariages et villages
« Au Mali, la famille regroupe l’ensemble des personnes qui partagent le même nom, transmis par le père, et descendent de la même lignée (on parle de société patrilinéaire). Tous les fils, dans les limites d’extension de la concession, habitent dans la maison de leur père, tandis que les filles, après leur mariage, rejoignent celle du père de leur époux (on parle de société patrilocale). La fondation des villages est ainsi très souvent expliquée par l’installation d’une famille, souvent celle d’un chasseur, hors de son village d’origine, et qui s’est peu à peu étendue… »
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
…Ce qui explique peut-être la proximité du mot du (« la concession » : maison et cour) et du mot dùgu (« le village »), et qui montre bien comment les relations familiales peuvent avoir un rapport étroit avec l’organisation spatiale et politique du territoire. De manière générale, chaque famille s’inscrit dans des réseaux d’alliance et de cousinage à plaisanterie (relations entre groupes spécifiques respectant certains interdits et s’exprimant à travers des moqueries rituelles) et dans une hiérarchie sociale dont le nom de famille (jàmu) est l’indice et dont le mariage est l’institution centrale. L’ensemble des relations non familiales sont en effet pensées et vécues dans le cadre du schéma de parenté, de telle sorte que l’ami de X est un frère pour l’ensemble de la fratrie de X et devient, du point de vue des relations sociales, le fils des parents et le mari de la femme de X. On voit ainsi combien la complexité du réseau relationnel fait toute la richesse de la famille étendue malienne (kàbila) ».
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
Le village thérapeutique ou la resocialisation des malades
Les malades ayant été sauvés in extremis d’une mort par inanition ou par violence dans le contexte du cabanon sont en revanche toujours menacés par une mort sociale. La chronicité des patients abandonnés par leur famille aux soins du service de psychiatrie, est un problème considérable pour la nouvelle équipe de psychiatres. L’activité des malades est donc favorisée par le développement de la thérapie occupationnelle qui doit permettre la lutte contre une oisiveté pathogène mais également la réinsertion des malades.
Celle-ci contribue aussi à la survie des malades : les hommes travaillent au jardin potager, les femmes font la cuisine. Les jeux collectifs tels que le football permettent également de rétablir la communication entre malades et entre soignants et malades dans le cadre d’un projet sociothérapeutique. Cette dynamique est très soutenue par l’Association malienne des malades mentaux qui cherche des aides privées et accompagne les malades dans leur trajectoire de réinsertion sociale.
Psychothèrapie institutionnelle
" La psychothérapie institutionnelle est un mouvement qui est né pendant la guerre, à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, en Lozère. Ses promoteurs, Paul Balvet, Lucien Bonnafé, François Tosquelles, souhaitaient transformer l’antique asile d’aliénés en un lieu d’échanges vivants où l’on pourrait créer un espace de liberté compatible avec l’introduction de psychothérapies de psychotiques. Après la Libération, devant la découverte de l’hécatombe dont avaient été victimes les malades mentaux et de la proximité entre les conditions asilaires et l’univers concentrationnaire, une génération de psychiatres militants souhaitèrent étendre l’expérience de Saint Alban…"
Jacques Hochmann, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, médecin honoraire des Hospices Civils de Lyon, CH Le Vinatier Bron.
"…Trois principaux courants se dessinèrent alors. Le premier courant cherchait, à travers une « clinique d’activités » et diverses réunions (G. Daumezon) à restaurer les relations entre soignants, entre soignés et entre soignants et soignés. L’institution était considérée comme un lieu démocratique de « désaliénation » (L. Bonnafé) et de réapprentissage de la vie en société (P. Sivadon). Le deuxième courant (PC. Racamier, S. Lebovici, R. Diatkine) souhaitait articuler et différencier un travail psychothérapique sur les conflits intérieurs des patients, réalisé par des psychothérapeutes patentés, avec un soin incarné par les infirmiers « ambassadeurs de la réalité » auprès des sujets psychotiques. Les représentants du troisième courant, F. Tosquelles, J. Oury, F. Guattari avaient une vision plus large de la psychothérapie institutionnelle et considéraient l’institution dans son ensemble comme l’objet d’un transfert collectif où chaque individu, soignant ou soigné, était appelé à se situer afin d’analyser ses projection personnelles et l’effet sur lui des projections des autres... "
Jacques Hochmann, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, médecin honoraire des Hospices Civils de Lyon, CH Le Vinatier Bron.
Psychiatrie communautaire
La psychiatrie communautaire est à la fois :
- un projet administratif de découpage du territoire national en « secteurs géographiques » où une même équipe assure la continuité et la diversité des soins hospitaliers et extra-hospitaliers,
- un projet pratique de soigner les malades au plus près de leur lieu de résidence en évitant ou en raccourcissant les séjours hospitaliers,
- un projet politique d’associer les usagers, leur famille et leurs autres interlocuteurs aux soins en leur donnant un rôle plus actif.
Jacques Hochmann, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, médecin honoraire des Hospices Civils de Lyon, CH Le Vinatier Bron.
Après quelques expériences isolées (le treizième arrondissement à Paris, l’hôpital de Bassens près de Chambéry, Villeurbanne), la psychiatrie communautaire, déclinée de manière différente selon les différents secteurs, plus médicale ici, plus sociale là, ailleurs marquée par les anti-psychiatries anglaises ou italiennes, est devenue, sous le nom plus neutre de psychiatrie de secteur, rebaptisée aujourd’hui psychiatrie de réseau, la forme commune de la psychiatrie française.
Jacques Hochmann, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, médecin honoraire des Hospices Civils de Lyon, CH Le Vinatier Bron.
Le Kotéba ou la renaissance d’un art traditionnel au service du soin
La tradition malienne est dotée d’un théâtre bambara, le Kotéba (le grand escargot). La tradition attribue sa découverte à un chasseur qui entendit une nuit en brousse le son de tambours tournant autour de lui en une ronde invisible. Il reçut alors la révélation des secrets de fabrication de ces tambours et la connaissance du rythme caractéristique du Kotéba.
La danse et le théâtre sont venus s’ajouter à la musique. Cette forme artistique possède un répertoire de courtes saynètes comme bases d’improvisation et un panthéon de personnages typiques.
Le genre est comique. Dans la perspective de désaliéner le service psychiatrique, P. Dauchez, professeur de théâtre à l’Institut national des arts, remet au goût du jour et adapte cette technique d’animation tombée en désuétude.
C’est ainsi que la compagnie Psy, actuellement dirigée par A. Bagayoko, intervient régulièrement auprès des malades psychiatriques du Point G, et ce depuis 1984.
Une séance se déroule selon trois phases : la parade appelle les participants, les rôles traditionnels sont attribués aux malades ; le jeu met en scène une situation donnée ; le retour au groupe rend possible sa résolution. Si les thèmes sont inspirés du répertoire traditionnel, les Kotedenw les adaptent à la situation du service.
La fonction du Kotéba est bien celle d’une catharsis fondée sur l’humour et l’esprit critique. En ce sens, il est différent d’un rituel de possession. Du point de vue thérapeutique, le Kotéba s’apparente au psychodrame morenien. Les psychiatres du Point G l’utilisent également pour faire évoluer les préjugés sur le service en invitant les villageois et le reste de l’hôpital à participer à ces séances.
Coulibaly, Yaya Suruku, la hyène 1977 Compagnie Sogolon Scénographie de l’exposition Copyright : La Ferme du Vinatier
Le psychodrame
« Inventé par un psychiatre d’origine roumaine, installé aux États-Unis, Jacob Moreno, le psychodrame est une technique thérapeutique qui utilise l’improvisation théâtrale. Il peut s’employer soit individuellement, soit en groupe. Le patient propose une trame et choisit parmi les autres participants, soignants ou soignés, des protagonistes. Les thérapeutes peuvent également incarner des Moi auxiliaires du patient et ainsi exprimer, à titre d’hypothèses, ce qu’ils perçoivent de sa vie intérieure pour dynamiser l’action. Le psychodrame morenien est surtout une école de la spontanéité. Il a été remanié par des psychanalystes français (Serge Lebovici, René Diatkine, Jean Gillibert, Jean et Évelyne Kestemberg) qui ont cherché davantage à favoriser la prise de conscience des conflits inconscients. Chantal Martinand de Préneuf, qui fut chef de clinique auprès du Professeur Henry Collomb, à Dakar, avait suivi une formation auprès de Moreno, aux États-Unis. »
Jacques Hochmann, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, médecin honoraire des Hospices Civils de Lyon, CH Le Vinatier Bron.
Les rites de possession (jiné kulonkè), un amusement génial au Mali
« Au Mali, comme dans beaucoup de pays, une alliance avec le monde invisible est toujours possible. Elle s’établit lorsque des génies (jiné) qui permettent de comprendre l’inexplicable (maladie, infortune, échec divers, etc,) se rendent chez les hommes, et élisent des individus.
Dans la Boucle du fleuve Niger, notamment chez les Sonrhaï, Tuareg et Bèlla, le rite holley-horey, « danse ou amusement de fous », est l’expression populaire du culte de possession du même nom lié aux génies de l’eau et de la brousse. Ce rite, très complexe, allie croyances religieuses et pratiques magiques. Pour que les génies prennent possession d’un élu, les initiés doivent s’habiller en rouge et/ou en blanc, l’habitude vestimentaire des génies, danser et chanter autour d’un ensemble hétéroclite d’objets…
Salia Malé, Chef du Département de la Conservation, Musée National du Mali.
…Chez les Bamana, lors des grandes cérémonies publiques, la « sortie » de l’objet Manya prend l’allure d’une dramatisation théâtrale. Quand le porteur de Manya se charge de son autel, il aperçoit les sorciers, prescrit les sacrifices. Le possédé évolue dans un espace symbolique.
En milieu urbain, les associations de génies (jinéton), se distinguent par le rite d’« amusement de génie » (jinè kulonkè). Le génie s’exprime par la bouche de la personne qu’il possède, soit pour exiger un sacrifice ou prescrire un interdit, pour rappeler qu’une obligation n’a pas été observée, manquement nécessitant réparations et offrandes. Dans la plupart des cas, ces réparations prennent la forme d’un repas collectif (jiné dumuni), apporté à la fin du rituel. Une fois satisfait, le génie se calme.
La dégénérescence de l’institution korè ou kotè a donné naissance, dans certaines localités du Mali, au kotèba, une forme d’expression artistique et théâtrale totale, dont les acteurs, masqués ou non, jouent en faisant participer l’assistance, pour divertir, soigner la société par la critique et l’éducation théâtrale ».
Salia Malé, Chef du Département de la Conservation, Musée National du Mali.
Les tradipraticiens et le maillage territorial
En général, le système psychiatrique traditionnel répond assez bien à la demande des populations. Sinon, l’unique service psychiatrique du Mali ne pourrait pas répondre aux besoins de ses habitants. Le recours au service du Point G se fait donc bien souvent à la suite d’une première prise en charge par le guérisseur traditionnel. Et c’est encore lui qui assure au malade, après son hospitalisation, le remodelage de la personnalité et sa réinsertion au sein de l’ensemble familial.
Séance de divination chez Fadouba BAGAYOKO, devin, tradithérapeute à Djitoumou Dialakoro. Décembre 2006 - Fonds : Musée National du MaliCopyright : Bilangalama SISSOKO
Animisme et médecine traditionnelle
« Le concept d’animisme, longtemps employé pour désigner certains systèmes de croyances en Afrique de l’ouest, apparaît particulièrement impropre dans la mesure où il se réfère à une conception occidentale duelle du corps et de l’âme. Les composants de la personne bambara-malinké sont en fait plus nombreux (di : le corps, ni : le souffle vital, dya : le double, téré ou nôrô : le caractère visible sur le corps). Il s’agit en outre de maîtriser la circulation d’une force présente dans tous les êtres et dans toutes les choses, le nyama, dont l’augmentation favorise la puissance de l’individu et dont la diminution, liée à des ruptures d’interdit ou à une agression maléfique, provoque des maladies physiques ou mentales. Sont alors à disposition divers moyens de protection préventive, médicaments traditionnels (fura, qui signifie également « feuilles ») ou objets puissants (basi, boli) procurés par le basitigi, et, le cas échéant, des moyens de diagnostics divinatoires établis par le doma, suivis de soins traditionnels (sacrifices, absorption de décoctions de feuilles ou d’écorces, lavage du corps...) prodigués par le soma ou par le marabout (mori) qui utilise quant à lui certains versets du Coran et diverses incantations. La multiplicité des possibilités de soins et des systèmes de référence (fétichisme, divination, Islam...) et la grande diversité des techniques employées par ces spécialistes de la santé rendent d’autant plus complexes les stratégies de guérison mises en place par les malades ou leur famille. »
Julien Bondaz, doctorant en anthropologie.
« À partir du début des années 1960, le Docteur Henri Collomb et son équipe réalisent à l’Hôpital Fann de Dakar l’une des toutes premières expériences de collaboration entre deux systèmes de traitement des troubles mentaux : la psychiatrie classique européenne et la psychiatrie traditionnelle africaine. Cette dernière est résolument collective.
Les troubles dont souffre un individu sont diagnostiqués par le devin comme le signe d’un déséquilibre et d’une perturbation des relations que le groupe entretient avec lui-même et qui se situe en dehors du malade. Ils appellent des cérémonies complexes de restauration de l’équilibre social et familial perturbé qui culminent dans un sacrifice animal.
Henri Collomb accorde une place privilégiée aux guérisseurs wolof et lebou pratiquant le rituel thérapeutique du n’doëp au cours duquel les rab (qui sont les esprits des ancêtres), loin d’être exorcisés, sont convoqués, écoutés et célébrés. »
François LAPLANTINE, Anthropologue, professeur à l’Université Lumière Lyon 2.
Générique
- Dominique Valmary : Directeur général du Centre Hospitalier Le Vinatier
- Carine Delanoë-Vieux : Directeur associé en charge de la Culture, du Patrimoine et de la Prospective
- Isabelle Bégou : Chef de projet La Ferme du Vinatier
- Juliette Pégon : Médiation culturelle
- Coline Rogé : Communication – Presse
- Marie-Jo Barny de Romanet : Administration
- Isabelle Buendia : Accueil
- Scénographie :
La Maison d’à côté – Jean-Claude Bonfanti et Giovana Piraina - PHOTO 36 Fous errants :
Crédit photographique : Alioune Bâ. - Définition des contenus scientifiques :
Conseil scientifique de la Ferme du Vinatier - Président :
Jacques HOCHMANN, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, Lyon, médecin honoraire des Hospices Civils de Lyon, CH Le Vinatier, Bron - Coordination :
Carine DELANOË-VIEUX, directeur associé culture, patrimoine et prospective, CH Le Vinatier - Membres :
Jacques BONNIEL, sociologue
Philippe DIDIER, éducateur,
Jean Paul FILIOD, socio-anthropologue, IUFM/Lyon 2
Jean FURTOS, psychiatre, CH Le Vinatier (ORSPERE),
Michel GILLET, psychiatre, CH Le Vinatier
Nathalie GILOUX, psychiatre, CH Le Vinatier,
Gilles HERREROS, sociologue, Université Lumière Lyon 2,
François LAPLANTINE, anthropologue, chercheur au centre de recherche et d’études anthropologiques, Université Lumière Lyon 2
François PORTET, ethnologue, conseiller à l’ethnologie à la DRAC Rhône-Alpes,
Jacques POISAT, économiste, enseignant à l’Université d’Avignon,
Thierry ROCHET, psychiatre, médecin responsable de l’unité de soin pour adolescents, Hubert Flavigny
Dominique VALMARY, directeur général du CH Le Vinatier,
Isabelle von BueltzIngsloewen, historienne, enseignante – chercheur à l’Université Lumière Lyon 2. - En partenariat avec :
Le Centre Hospitalo - Universitaire du Point G – Bamako, le Musée National du Mali. - Partenariat média et édition :
La Maison d’à côté - Avec le soutien :
du ministère de la Culture et de la Communication,
Drac Rhône-Alpes,
de l’Agence régionale de l’hospitalisation Rhône-Alpes,
de la Région Rhône-Alpes,
du Département du Rhône,
du Grand Lyon,
de la Ville de Bron,
du Ministère des affaires étrangères, de l’Ambassade de France au Mali,
du ministère de la Culture du Mali,
du District de Bamako et de Helvetas Mali.