Une histoire du Vinatier
Sept propos sur le septième ange
Présentée du 26 novembre 1999 au 25 juin 2000, l'exposition « Sept propos sur le septième ange, une histoire du Vinatier » s’attachait à mettre en lumière deux modèles d’organisation de la politique de santé mentale dans leur rapport avec la ville, tout en explicitant ce qui s’est joué lors du passage progressif de l’un à l’autre. Sept propos sur la psychiatrie à travers l’histoire du Vinatier ont été présentés, selon une perspective chronologique, dans sept espaces scénographiques. Témoignages sonores, objets patrimoniaux, iconographie et documents étaient en correspondance dans chacun de ces espaces pour mettre en perspective la période abordée. Un cycle de rencontres – en partenariat avec le Centre Pierre Léon (Lyon 2), le Centre Thomas More, le Centre de Recherche en Anthropologie (Lyon 2) et la Bibliothèque municipale de Lyon-Part-Dieu – ont accompagné l’exposition afin d’en compléter et d’en approfondir les thèmes.
Introduction
L’image de l’hôpital évolue lentement malgré une série de mutations exceptionnelles dans les trente dernières années qui ont dilaté le territoire de la psychiatrie et rénové ses pratiques. Pourtant, si le “ fou ” est depuis toujours l’archétype de l’altérité pour chacun de nous, il prend aujourd’hui des visages plus familiers, en particulier à travers le concept vulgarisé de “ dépression ” et la reconnaissance de la notion de “ souffrance psychique ”. De même, le soin psychiatrique, se rapprochant des personnes malades et de leur famille, se fond dans l’agitation urbaine. Aussi, n’est-il plus possible de considérer que le traitement de la folie puisse se situer hors de la scène sociale, se définir comme un domaine de “ l’ailleurs ”.
Le septième ange, une apocalypse intime
Sept propos sur le septième ange est le titre d’un livre du philosophe Michel Foucault. Cet ouvrage est consacré à un linguiste du 19ème siècle, Georges Brisset, pour qui “ dans le langage en émulsion, les mots sautent au hasard, comme dans les marécages primitifs nos grenouilles d’ancêtres bondissaient selon les lois d’un sort aléatoire. ”
Ce poète de la langue qui a démontré que le latin n’existait pas “ supprimé le latin, le calendrier chronologique disparaît ; le primitif cesse d’être l’antérieur ; il surgit comme les chances, soudain toutes retrouvées, de la langue. ” s’est retrouvé interné dans un asile d’aliénés.
C’est en hommage à l’onirisme et à la démesure de la théorie de Georges Brisset que le titre de cette exposition fut choisi : le septième ange n’est-il pas l’annonciateur d’une apocalypse intime qui déferle sur la conscience de l’homme malade ? N’est-il pas aussi, selon les propres termes de Georges Brisset, l’archange de la résurrection après l’apocalypse ?
L’hôpital psychiatrique : les grands modèles d’organisation
"La folie est curable", tel est le postulat proprement révolutionnaire que soutint Philippe Pinel au lendemain des bouleversements politiques de 1789. On cesse ainsi de penser la pathologie mentale comme un processus inéluctable, il y a toujours chez le malade même le plus atteint, la trace d'une humanité avec laquelle il est possible de dialoguer.
Mais dans les termes de la logique aliéniste, le soin du patient n'est rendu possible que par la soustraction de l'individu de la société et par sa réintégration dans ce microcosme parfaitement domestiqué, discipliné et normalisé de l'asile. Cependant les mécanismes de cette pensée de la séparation et de l'isolement se sont très vite grippés. L'asile comme lieu de protection et d'accueil s'est rapidement transformé en espace d'oubli et de mort.
Aujourd'hui, et cela depuis les années 60, la psychiatrie française tente de rompre avec ce modèle de la ségrégation au profit d'un autre modèle plus intégrateur : le lien du malade avec son environnement, son quotidien, ses relations sociales est privilégié. Il ne s'agit plus de couper le patient de ses attaches mais bien plutôt de conserver ces liens parfois fragiles qui le relient à la société globale.
Relativité culturelle de la folie ?
Incarnation des forces démoniaques au Moyen Age, métaphore du chaos social et politique à la Renaissance, recours satirique et ludique pour critiquer les excès du pouvoir à l'époque Classique, objet de science positive après la Révolution, mal romantique pouvant verser dans la mélancolie suicidaire ou la violence criminelle au XIXème siècle, maladie suscitant alternativement rejet violent et défense d'une nouvelle citoyenneté au XXème siècle, les représentations de la folie changent en fonction du contexte social et moral de chaque époque.
Elles fluctuent aussi selon les cultures. La définition de la Folie pose la question de la limite que crée une société entre normalité et anormalité, et de la place qu'y tient celui que l'on reconnaît comme malade. Les transes d'un Chaman sibérien ou d'un sorcier africain, par exemple, peuvent certes apparaître aux yeux d'un occidental comme les manifestations de pathologies relevant de la psychiatrie, mais aux yeux de leurs communautés, ce Chaman et ce sorcier ne sont pas fous, anormaux mais différents, autres. Autres car eux seuls peuvent entrer en contact avec des forces surnaturelles qu'ils connaissent et manipulent.
L’utopie aliéniste incarnée dans l’architecture
La première théorie de l'utopie s'est ébauchée dans la fondation de la cité grecque qui devait traduire une conception politique dans l’organisation de l’espace urbain. C'est pourtant bien plus tard, au 16ème siècle, que le terme "utopie", du grec ou-topo "lieu de nulle part", et eu-topos "lieu de bonheur", a été forgé par l'avocat anglais Thomas More.
Quelles que soient depuis, les variations du genre, il n'est rien, dans les projets utopistes, qui ne soit prévu, organisé, compté. L’urbanisme de l'asile de Bron répond au genre utopiste autant par l'organisation symétrique et circulaire de son espace que par la volonté d’intégrer dans sa rationalité le travail de la terre et le rythme des saisons. L’instauration de règles strictes et répétitives qui président au quotidien de la collectivité vient conforter cette dimension.
Naissance de la psychiatrie moderne
Selon la loi de 1838, la condition sine qua non pour être admis à l’asile est de faire montre à la fois de trouble mental et d’incompétence sociale. Cette loi procède d’une conception du droit des individus à l’asile et au travail. Elle est imprégné de l’humanisme des aliénistes Philippe Pinel et Jean-Etienne Esquirol, héritiers de la philosophie des Lumières.
C’est une loi d’inclusion des malades mentaux dans un système institutionnel qui, somme toute, est le reflet des institutions de l’époque. Lieu d’autarcie et d'observation scientifique, visant à protéger les malheureux atteints dans leur raison autant que la société de leur dangerosité supposée ou réelle, l’asile est conçu comme une “ ’île aux fous ”, marquée par une utopie vieille de plusieurs siècles.
L'idée de curabilité contrariée
Entre le vote de la loi de 1838 et l’ouverture des portes du très moderne asile du Vinatier en 1876, le contexte idéologique s’est considérablement modifié. En effet, le traitement moral et la classification scientifique, les deux piliers de la psychiatrie selon Pinel et Esquirol, montrent leurs limites, laissant le champ libre à la théorie de la dégénérescence qui fonde l’eugénisme.
Cette dernière postule l’existence d’un type primitif parfait dont les déviations irréversibles sont à l'origine de l'aliénation. Pour le fondateur de cette théorie, Bénédict-August Morel, "Il n'est pas donné à l'homme de changer ce qui est immodifiable, mais il lui est possible d'exercer son action sur les causes des dégénérescences de son espèce". Nous sommes loin de l’espérance de l’école pinélienne incarnée par la foi dans la curabilité de l’aliénation mentale.
La vie villageoise et les avatars d’une utopie rationaliste
Jusqu'à la seconde guerre mondiale au Vinatier, la vie de l’institution s’ordonne autour des notions de communauté et de discipline. Vivant en quasi-autarcie, comme l’atteste la présence d’un grand nombre de corps de métiers, les membres du personnel s’inscrivent dans un tissu relationnel extrêmement serré et dominé par les valeurs de solidarité et de convivialité. Cependant, la rationalité avec laquelle est organisée la vie quotidienne confine à l’absurde.
L'institution se transforme progressivement en un “ trou noir ” duquel peu à peu les notions élémentaires d’humanité se retirent. Rationalisation excessive, désert thérapeutique, contrainte économique et isolement donnent à l’utopie des airs de cauchemar. Les efforts entrepris dès 1937 par quelques médecins, entre autres le Pr. Revol et les Drs Beaujard, Balvet et Requet, sont interrompus par la guerre.
A l'asile les jours se suivent… Et se ressemblent
Carte postale Asile de Bron - Clinique des hommes, vers 1910Copyright : Fonds : La ferme du Vinatier
L’asile est un monde clos pour les malades comme pour les soignants. Les malades y entrent pour souvent n’en plus sortir. Ils ne retrouvent leurs vêtements civils que pour “ le grand départ ”, généralement le cimetière du Vinatier. Les repas rythment la journée, le reste du temps les malades marchent inlassablement dans une cour fermée ou dans une salle de ronde.
La seule distraction est le 14 Juillet et son feu d’artifice qu’ils regardent depuis l’avenue principale de l’asile. Les mieux lotis sont les malades travailleurs qui secondent les employés aux champs, à la cuisine ou aux tâches ménagères : ergothérapie avant l’heure ou main d’œuvre bon marché pour l’établissement autarcique, le travail est la seule alternative à l’enfermement dans la psychiatrie asilaire. Les soignants connaissent le même ennui quotidien.
En l’absence de véritables thérapeutiques, leur rôle relève du gardiennage et est limité au nombre de clés qu’ils possèdent, ils sont d’ailleurs recrutés pour leur carrure. Le cadre unique est en vigueur pour ces gardiens et gardiennes, et les médecins aliénistes sont peu nombreux : environ un médecin pour 200 malades.
Dans cette monotonie ambiante se tissent alors des liens quasi familiaux : entre les soignants qui forment la plupart du temps des couples mariés ou de véritables familles, mais aussi entre les fameux “ bons malades ” et les différents employés techniques et artisanaux : boulanger, matelassière, couturières, plombiers, maréchal-ferrant, porcher, vitrier, cordonnier, etc.
Tout étant fait sur place, la production alimentaire comme les vêtements, la menuiserie comme les enterrements, l’asile-village vit totalement replié sur lui-même, telle une parfaite communauté retranchée derrière des murs.
Berty Albrecht, la folie au service de la resistance
Lyon, hiver 1942. La France entière est désormais occupée, mais partout des réseaux de résistance s’organisent pour lutter contre l’ennemi. Parmi ces héros de l’ombre, se trouvent des femmes, dont l’une, Berty Albrecht, est sans doute la plus grande figure.
Née à Marseille en 1893, infirmière diplômée d’État pendant la première guerre, Berthe Wild épouse en 1918 Frédéric Albrecht, Allemand pacifiste qu’elle a connu avant-guerre. Militant à partir de 1927 dans divers mouvements sociaux et politiques, elle sympathise avec Henri Frenay, découvre les exactions nazies et entre dans la Résistance en aidant à publier les premiers bulletins de la Résistance Petites ailes, Vérité, Combat, …
Après une arrestation en mai 1942, Berty Albrecht est remise en liberté suite à une grève de la faim de 13 jours, puis de nouveau arrêtée et internée à la prison St Joseph de Lyon. Elle décide de simuler la folie afin d’être transférée dans un asile d’aliénés d’où il lui serait plus facile de s’évader ; suite à une “ crise ” violente de démence, elle est effectivement hospitalisée le 29 novembre dans le service du Dr Foex, jeune interne du Vinatier qui d’emblée lui inspire confiance. Elle se dévoile à lui, il lui promet de l’aider à s’évader. Dans son rapport au chef de service, il diagnostique une “ mélancolie anxieuse ” et note un affaiblissement physique, ce qui était d’ailleurs vrai. Berty Albrecht garde la chambre plusieurs semaines et reprend des forces, feint la mélancolie et l’indifférence en présence des infirmières. Foex lui rend de brèves visites quotidiennes pour éviter tout soupçon.
Les oubliés de la seconde guerre mondiale
Les années de guerre ont rendu possible le décès d'environ 2000 malades du Vinatier. Ces décès ont été provoqués par la faim en raison de restrictions alimentaires draconiennes. Rien ne permet à ce jour d’affirmer qu’il y ait eu une volonté calculée d’exterminer les malades mentaux au Vinatier, comme ce fut le cas en Allemagne dans le cadre de l’opération T4. Les aliénés internés comme les vieillards des hospices, considérés comme incurables et donc socialement inutiles, pâtissent en effet de leur isolement social qui les excluent des circuits de la solidarité familiale et caritative alors que leur instinct de survie et leur capacité à s’organiser collectivement sont considérablement altérés par leur âge et/ou leur pathologie.
Le faible degré de médicalisation de ces institutions a sans aucun doute aggravé la situation de même que la pratique très répandue du détournement de nourriture par un personnel sous-payé et également très concerné par les problèmes de ravitaillement.
C’est pourquoi, s’il est abusif d’amalgamer ce terrible événement à un génocide, il est nécessaire de comprendre en quoi les décisions par défaut et les lâchetés individuelles et collectives ont pu avoir des conséquences aussi dramatiques qu’une politique d’extermination.
L’annexe de l'Argentière
En 1937 le Conseil général du Rhône décide d’annexer à l’Asile l’ancien séminaire de Sainte-Foy-l’Argentière, pour pallier la surpopulation du Vinatier (de 1395 malades en 1888 on est passé en 1938 à 2764 malades, soit le double en 50 ans). L’annexe de l’ Argentières est ouverte en mai 1939 avec 525 aliénés des deux sexes, puis, à la suite d’une décision de la Direction Régionale de la Santé de procéder à un reclassement de certaines catégories de malades, ce sont 130 épileptiques et anormaux qui sont transférés à l’Argentière, puis 271 vieillards des Bouches-du-Rhône en avril 1944.
Mais l’Argentières connaît les mêmes problèmes alimentaires que le Vinatier, aggravés encore par la distance qui les sépare : le ravitaillement et le fonctionnement de l’annexe sont assurés par les propres véhicules de l’hôpital, situé à plus de 50 km. Le Vinatier fait lui les frais de la guerre et de l’occupation allemande, avec quantité de transferts provisoires de malades d’autres hôpitaux psychiatriques, 1300 au total en 5 ans.
Devant la surmortalité qui vide les services au Vinatier comme à l’Argentière, l’annexe de Sainte-Foy est définitivement fermée en 1945.
Sylvain Fusco (1903-1940) figure mythique du Vinatier
C'est en 1930 que Sylvain Fusco entre au Vinatier pour "aliénation mentale caractérisée par un état de démence précoce", après un meurtre passionnel, une période de bagne et une autre de clochardisation.
En 1935, encouragé par un nouveau médecin, le Dr Requet, il commence à peindre sur les murs de sa cellule et de la cour. Il entre en 1938 dans une période de création intense et adopte le matériel fourni par son médecin. Sylvain Fusco meurt le 29 décembre 1940. Pour le Dr Requet, il est le premier des malades du Vinatier mort du fait de restriction et privation appliquées dès après la défaite.
D'autres pensent qu’il s'est laissé mourir quand le Dr Requet a été mobilisé et qu’il a quitté le service. Quoiqu’il en soit, il reste dans la mémoire collective du Vinatier comme une figure emblématique de la tragédie qui a frappé les malades mentaux pendant la guerre mais aussi comme figure originelle du mouvement d’art-thérapie qui s’affirmera au Vinatier dans les décennies suivantes. Aujourd'hui, l'essentiel de l'œuvre de Sylvain Fusco est conservé au Musée d'art brut de Lausanne.
L’école lyonnaise de psychiatrie : Ou comment intégrer les approches bio-médicale et analytique
A partir des années cinquante, les récentes découvertes en chimiothérapie permettant de créer des médicaments plus adaptés et mieux dosés, redéfinissent les problématiques cliniques et théoriques de la psychiatrie française. Il ne s'agit plus de pratiquer la prescription médicamenteuse comme un geste systématique cherchant à calmer le malade en le réduisant le plus souvent au silence.
Désormais, l'approche chimique doit s'intégrer dans un projet thérapeutique et relationnel plus large et plus subtil : le malade peut se distancier de sa pathologie et prendre alors en charge ses propres conflits. Le médecin n'est pas absent de ce processus, il participe lui aussi activement à cette lente reconstruction du sujet par lui-même. A Lyon, des médecins comme Pierre André Lambert et Jean Guyotat travailleront aussi à cette unification entre psychothérapie et chimiothérapie, entre thérapeutique et médecine, en défendant l'idée que la chimiothérapie peut contribuer à une meilleure connaissance de soi, plutôt qu'à un radical éloignement de soi.
La succession des thérapeutiques psychiatriques au XXème siècle
Avant la seconde guerre mondiale les thérapeutiques psychiatriques se répartissent en deux tendances principales. D'une part, une technique d'inoculation consistant à administrer au patient, de manière croissante, un élément étranger afin de créer une réaction du corps censée contrer les effets de la maladie : malariathérapie et paludisme, cure de Sakel et insuline, électrochocs et impulsions électriques. D'autre part, une technique plus soustractive cherche, elle, dans le cerveau l'origine du dysfonctionnement et cela afin de l'éradiquer par une ablation comme dans le cas de la lobotomie.
La seconde guerre mondiale marque, ensuite, un tournant décisif pour la psychiatrie. Par le diagnostic de la pathologie, le psychiatre peut préconiser une prise en charge chimiothérapique. Cette thérapeutique, moins agressive, permet d’instaurer une communication nouvelle avec le patient. Il est alors possible d'engager complémentairement une psychothérapie, individuelle ou collective, tentant de révéler les causes inconscientes de la maladie. Le patient peut ainsi, avec l'aide du thérapeute mettre à nu l'histoire de sa souffrance et reconstruire sa vie.
L’émergence de la pédopsychiatrie
Durant tout le XIXème siècle, les services d’enfants des asiles ne sont que des garderies. C’est à partir de 1945 que s’organise réellement la pédopsychiatrie. En effet, les pathologies lourdes échoient aux hôpitaux psychiatriques, tandis que les pathologies plus légères incombent aux instituts médico-éducatifs et centres médico-psycho-pédagogiques.
Le Dr Beaujard est le premier au Vinatier à porter la responsabilité des services enfants. Parallèlement la Sauvegarde de l’Enfance, dont le Dr Claude Kohler est à l’origine, la Nourricerie Départementale et le Foyer des Pupilles de la Nation, alors présents sur le site du Vinatier, prennent en charge une partie de ces pathologies. Enfin, la création de l’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile en 1972 permet de développer un dispositif de soins et de prévention pour les enfants et les adolescents souffrant de difficultés psychologiques de tous ordres.
Humaniser l'hôpital
Scène de danse lors d’une fête dans un service avec personnels et patients, 1962Copyright : Fonds : La ferme du Vinatier
Après la guerre, des psychiatres fortement engagés sont les chantres de ce que l'on a appelé "la révolution psychiatrique". Ils militent pour changer radicalement l’institution et la pratique psychiatriques, relayés dans leurs efforts par les pouvoirs publics.
En effet, une circulaire ministérielle ordonne en 1952 "l'humanisation" des hôpitaux psychiatriques. Au Vinatier, ce nouvel “ humanisme ” est globalement mis en œuvre avec enthousiasme et efficacité par les équipes. Il prend d’abord la forme de micro-révolutions de la vie quotidienne. Les quelques résultats obtenus quant aux conditions matérielles des services encouragent les personnels à aller plus loin dans la rénovation
Nouvelles thérapeutiques
Équipe de foot du Vinatier avec patients et personnels lors du championnat inter hospitalier Rhône-Alpes en 1962Copyright : Fonds : La ferme du Vinatier
L'amélioration des conditions de vie des malades marque le début de la psychothérapie institutionnelle dont l’effort consiste à transformer l’institution aliénante en “ bonne institution ”. Dès 1945, des expériences de réhabilitation du malade sont menées par l’organisation d’activités culturelles dans les services. En 1950, les premiers ateliers d'ergothérapie – thérapeutique par le travail - se mettent en place et impulsent toutes sortes de "thérapeutiques occupationnelles" : artisanat, créativité, sport.
C’est à cette époque que se crée l’ACSV (Association Culturelle et Sportive du Vinatier) encore active aujourd’hui. Des sorties de plus en plus nombreuses s'organisent avec les malades tandis que la radio et la télévision pénètrent dans l'hôpital. Cette vague d’innovations est amplifiée par l'arrivée à l'hôpital du premier neuroleptique en 1952 dont l'application ne se généralise cependant qu'après 1957. Ce nouveau médicament apporte le calme dans les services, favorisant ainsi le développement de la psychothérapie qui vient compléter le dispositif de ces nouvelles thérapeutiques.
Un passage a l’acte difficile
Dernière moisson des blés du Vinatier en 1978, avec, en arrière-plan, l’urbanisation extérieure qui gagne du terrainCopyright : Fonds : La ferme du Vinatier
En 1960, une circulaire ministérielle institue le secteur en psychiatrie : chaque service de psychiatrie d’environ 200 lits doit couvrir les besoins d’une population de 66 000 personnes en s’appuyant sur des structures à l’extérieur de l’hôpital. Le don d’un immeuble par les Hospices Civils de Lyon au Vinatier, en échange d’une parcelle de terrain pour construire l’hôpital neurologique, est une opportunité pour créer le premier Centre Médico-Psychologique cours Lafayette.
Mais dans les douze années suivantes la mise en place de la sectorisation se heurte à des résistances psychologiques et de nombreuses difficultés administratives. C’est seulement en 1973 qu’un nouveau plan global de sectorisation, intégrant la récente mixité sexuelle dans les services, est réellement concrétisé. A la même période la qualification “ d’infirmier de secteur psychiatrique ” se crée. Parallèlement, on modernise les services et les équipements du site de l’hôpital.
Psychiatrie communautaire
A partir de 1952, les traitements neuroleptiques vont permettre la sortie à l’extérieur de l’hôpital d’un certain nombre de patients. Même si la psychothérapie institutionnelle garde son importance, en particulier pour les malades chroniques, elle va rapidement devenir un enjeu moins investi, remplacé pour les jeunes générations par l’idéologie de « secteur », qui va subir maintes vicissitudes. Le secteur sera appliqué avec réticence pendant des années… sauf par les tenants de la psychothérapie institutionnelle qui tenteront l’utopie d’une « psychiatrie communautaire ».
Au Vinatier, c’est à Jacques Hochmann que l’on doit l’essor de ce concept, au moment où Jean Guyotat le charge d’organiser le secteur de l’est lyonnais (Villeurbanne, Bron, Meyzieu, Décines). Il publie en 71 Pour une psychiatrie communautaire, ouvrage dans lequel il prône une immersion des équipes psychiatriques dans la cité, ce qui donnera naissance à Villeurbanne à l’association « Santé Mentale et Communauté », présidée par le maire et dont Jacques Hochmann est le secrétaire général.
On est ainsi passé de la tentative plus ou moins réussie d’une transformation de l’hôpital psychiatrique par l’animation d’une communauté de soignants – malades dans un lieu clos, à une autre tentative, encore plus téméraire, visant à inscrire les malades et leurs soignants dans une communauté humaine soucieuse de la totalité de ses membres.
Depuis 30 ans, psychothérapie institutionnelle et psychiatrie communautaire entretiennent des rapports ambigus. En apparence opposées (lieu clos, lieux ouverts, ghetto asilaire, insertion communautaire), elles sont pourtant en filiation l’une de l’autre et leurs relations restent dialectiques. Toutes deux semblent également en perte de vitesse et on s’achemine vers une étrange synthèse : le conseil de secteur, issu de la psychiatrie communautaire, mais dont le fonctionnement est beaucoup plus administratif et institutionnalisé.
Antipsychiatrie et mai 68
Libérés partiellement de la violence et découvrant de nouvelles possibilités d'entrer en communication avec les malades, les membres du personnel hospitalier se préoccupent plus sérieusement non seulement de leurs conditions de travail mais aussi de leur fonction sociale. Portés par la vague libertaire de 1968, puis interpellés par les positions virulentes d’une antipsychiatrie marquée par le mouvement italien, les personnels du Vinatier remettent en cause la politique de santé mentale; l'hôpital psychiatrique bascule alors dans une autre ère.
Ce souffle idéologique désordonné est rapidement relayé, parfois pris en contrepoint, par un syndicalisme concentrant ses efforts sur les revendications des personnels quant à leurs conditions de travail. La grève de 1973, qui a duré près de 50 jours au Vinatier, est le point d’orgue de cette vague contestataire venue tant de l’extérieur que de l’intérieur.
Psychothérapie institutionnelle
La « psychothérapie institutionnelle » apparaît sous la plume de Georges Daumézon en 1952. Il baptise ainsi un mouvement vieux d’une dizaine d’années qui utilise toutes les ressources de l’époque pour améliorer la qualité de vie des malades mentaux au sein de l’institution hospitalière : l’ergothérapie, la sociothérapie, la psychothérapie enfin, largement inspirée de la psychanalyse. L’ensemble aboutit à une sorte d’utopie fourièriste, un phalanstère, baptisé « asile - village ».
A côté de l’église, depuis toujours implantée dans l’ancien asile, naissent le café, la boutique, les ateliers, le club sportif etc… Dans les services, la parole est libérée encouragée, voire obligée chez les malades comme chez les soignants qui cessent d’être entièrement au service du médecin chef. Au Vinatier, la psychothérapie institutionnelle existe depuis 1943 avec l’arrivée de Paul Balvet. Il vient de Saint Alban, où il a côtoyé pendant quatre ans François Tosquelles. Progressivement, de 1943 à 1972, son service devient un des pôles français de la psychothérapie institutionnelle.
Destruction de murs et travaux de réaménagement extérieur par un groupe de patients et de soignants, 1965Copyright : Fonds : La Ferme du Vinatier
Seuls les docteurs Requet et Beaujard adhèrent à l’époque, avec plus ou moins de réticences, à cette nouvelle forme de psychiatrie ; rejoints ensuite, dans les années 50, par les docteurs Broussolle et Achaintre, puis dans les années soixante par les docteurs Guyotat et Hochmann.
Ces pionniers du Vinatier transformeront l’hôpital. Mais, ces changements de mentalité, s’ils imprègnent peu ou prou la psychiatrie française de 1950 à 1970, ne parviendront jamais à s’imposer de manière globale. A Lyon certains services resteront toujours en marge de ce mouvement, comme d’ailleurs nombre d’hôpitaux psychiatriques en France.
Professionnalisation de la psychiatrie
Dans la mouvance de 1968, la psychiatrie acquiert son autonomie et se professionnalise. En effet, en 1969, elle est séparée de la neurologie et devient une discipline à part entière dans l'enseignement de la médecine. En 1971, L’hôpital Le Vinatier accueille une école de formation des infirmiers psychiatriques. Un Groupe d’Études et de Recherches des Infirmiers Psychiatriques, le GERIP, est crée à Lyon par des infirmiers venus de toute la France, soutenu par les médecins.
Des sections locales s’ouvrent rapidement et la notoriété du GERIP grandit. L’objectif est de faire évoluer la profession infirmière en revalorisant son identité, perfectionnant sa formation et favorisant l’adaptation à la psychiatrie moderne. Enfin, le recrutement et la formation des personnels hospitaliers de psychiatrie s’affinent, se structurent et procèdent à une sélection plus rigoureuse.
Le soin en archipel
Cette nouvelle organisation de l’hôpital psychiatrique, mise en oeuvre au Vinatier à partir de 1972, procède d’une conception de la folie différente de celle qui a dominé dans la première partie du siècle. L’idée prépondérante au 19ème et au début du 20ème siècle selon laquelle l’environnement du malade était facteur d'aggravation de sa pathologie s’en trouve renversée : désormais, l'hôpital devient suspect de renforcer l'aliénation du sujet.
C’est pourquoi, au-delà du soin, on se soucie de la réintégration du malade dans son milieu familial et social. Les équipes psychiatriques, devenues pluridisciplinaires – elles comprennent des médecins et des infirmiers mais aussi des assistants sociaux, des psychologues, des ergothérapeutes, des éducateurs, des aides-soignants, des ortophonistes… – ne se bornent plus à une prise en charge médicale. Leur mission auprès des personnes malades s’élargit à leur réadaptation à la vie quotidienne, au suivi des familles, à leur réinsertion sociale et économique.
Malaise social et pathologie mentale
L’institution psychiatrique est confrontée à une augmentation significative de problèmes psychiques liés à la situation sociale des personnes ce qui l’oblige à questionner les limites de sa vocation médicale. A tel point qu’au Vinatier, un Observatoire Régional de la Souffrance Psychique en Lien avec l’Exclusion (l’ORSPERE) étudie cette interaction entre psychiatrie et social.
Parallèlement, l’usage par les médias du lexique médical pour désigner les “ maux ” de la société ainsi que le recours de plus en plus répandu au psychiatre-expert dans tous les domaines (justice, entreprise, école, social…) contribuent amplement à l’interpénétration entre malaise social et pathologie mentale. Comment éviter dès lors de “ psychiatriser ” le social mais aussi de transformer les hôpitaux psychiatriques en étapes ultimes pour des sujets qui auraient résisté au processus de réinsertion sociale ? La prévention sur le terrain et une meilleure coordination avec les professions des autres secteurs suffiront-ils à enrayer cette évolution ?
L’hôpital, un objet complexe
Centre de réadaptation socioprofessionnel, atelier de poterieCopyright : Fonds : La Ferme du Vinatier
L’hôpital psychiatrique subit aujourd’hui de fortes contraintes économiques, amplifiées par une exigence de plus en plus grande à l’égard de la qualité des soins et de celle de l’environnement qui est proposé à la personne malade.
Aussi, soumis à des pressions et des attentes nombreuses et parfois paradoxales, l’hôpital contemporain se complexifie : les métiers se fragmentent et les modes de prise en charge se multiplient afin de s’adapter le plus finement possible à la pathologie du patient. Il s’enrichit sans cesse de structures qui accompagne le patient, par degré, de l’hôpital à la ville : foyers de transition, centres médico-psychologiques, centres de jour, appartements thérapeutiques...Au dispositif de soin s’ajoute un dispositif de réadaptation à la vie quotidienne mis en œuvre par le Département de Réadaptation Socio-Professionnelle (DRSP), relayé par des associations de réinsertion.
Crédits et remerciements
Une exposition réalisée par la Ferme du Vinatier – CH Le Vinatier
- Direction du projet : Carine Delanoë-VIEUX
- Coordination et médiation : Hervé Roullet
- Secrétariat : Anne-Marie DECLEZ
- Chercheurs associés : Evelyne Lasserre, Axel Guïoux
- Presse : Nadine GUIGARD
- Régie : Patrick VOGEL
- Maintenance : Noël GAZEL
- Stagiaires : Nadja DELHORME, Barbara BATHILDE, Carole SEGURA
- Accueil : Franck COSTANTINI et Claire FERRARI
- Scénographie : Jean-Pierre Zaugg
- Graphisme : Plan Fixe
- Partenaires financiers :
Ministère de la culture – DRAC Rhône-Alpes
Conseil Général du Rhône
Ville de Bron
Ville de Lyon.
- Avec le concours de :
Archives Départementales / Préinventaire du Rhône, Compaq computer, Éditions Fata Morgana, Les Films du Jeudi, Musée d’Art Brut de Lausanne, Lyon Découvertes, Synapse, CH de Bassens, CH de St Égrève.
- Le conseil scientifique :
Jean Guyotat, Jean-Paul Ségade, Jacques Bonniel, Paul Broussolle, Olivier Faure, Alain Ferrant, Jean Furtos, Gilles Herreros, Jacques Hochmann, François Laplantine, Michel Rautenberg, Jacques Poisat, Isabelle von Bueltzingsloewen.
- Les animateurs des groupes-mémoires :
Marie-Thérèse Peyrin, Jean Chalancon, Monique Donaz, Dominique Garnier, Carmen Louis, Suzanne Ray, Paul Broussolle, André Mortelier, Guy Depraz, Henri Moulin, Monique Pérellon, Roger Lalliard.