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Identifier les aidants les plus vulnérables pour mieux les accompagner

Mis en ligne le 05 mai 2022

Le Centre Lyonnais des Aidants en Psychiatrie (Dr. Romain Rey, Centre Hospitalier Le Vinatier) et l'Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) ont co-conçu une étude visant à identifier les prédicteurs de la dépression chez les aidants en psychiatrie. Louis-Ferdinand Lespine (PhD, psychologue chercheur) a analysé et valorisé les résultats en utilisant une méthode statistique innovante appelée "analyse en réseau".

Quel rôle ont les familles dans l'accompagnement des personnes avec un trouble psychique ?

Les familles sont le plus souvent en première ligne de l’aide en santé mentale. Le terme "d’aidants familiaux" est d’ailleurs entré dans le langage médical. L’accompagnement des personnes vivant avec des troubles psychiques sévères (tels que les troubles schizophréniques ou bipolaires) par un aidant est reconnu, dans la littérature scientifique mondiale, comme un élément déterminant vis-à-vis du pronostic au long cours de la maladie. Ces personnes sont donc des acteurs majeurs du rétablissement de leur proche.

En revanche, la relation d’aide au proche souffrant de trouble psychiatrique sévère constitue une expérience douloureuse, fréquemment désignée sous le terme de « fardeau ». En effet, à la différence des aidants professionnels, les limites du champ d’action des aidants familiaux ne sont pas déterminées et comprennent aussi bien :

  • la réalisation de tâches matérielles, de tâches liées à l’hygiène ;
  • la gestion des activités quotidiennes, au traitement ;
  • un soutien affectif envers des personnes vis-à-vis desquelles elles ne sont pas neutres affectivement.

De ce fait, les aidants familiaux sont souvent dans l’impossibilité de répondre à leurs propres besoins, avec des conséquences délétères sur leur santé physique et un risque élevé de dépression. Les aidants constituent ainsi une population vulnérable qu'il est important de soutenir et d'accompagner.

Pourquoi s'intéresser aux symptômes dépressifs chez les aidants ?

En comparaison avec la population générale, les aidants en psychiatrie se caractérisent par un moins bon niveau de santé psychique et physique. En particulier, différentes études internationales rapportent un taux 3 à 5 fois plus élevé de dépression chez les aidants comparé à la population générale. Ces chiffres, à l’échelle mondiale, sont cohérents avec ceux observés en France. Ainsi, 3 établissements situés en région AuRA (CH le Vinatier, CHU de Saint-Étienne, CH Drôme Vivarais) ont accueillis un échantillon de 100 aidants en psychiatrie. Plus de la moitié (58%) d’entre eux présentaient un niveau de dépression significatif. A titre de comparaison, le pourcentage attendu en population générale est d'environ 2 à 10%.

Quel est le projet ?

Devant ce constat il nous est apparu crucial de mieux comprendre les déterminants de la souffrance dépressive chez les aidants en psychiatrie. Être dans leur situation est complexe et amène à se retrouver confrontés à des difficultés de natures très variées. Cependant, l'aidance peut aussi bien être associée à des expériences négatives qu’à des expériences positives. Jusqu'à présent, l’impact des différents aspects du rôle d’aidant sur la souffrance dépressive a été très peu étudié. Etant donné le risque élevé de dépression, il est essentiel d’identifier ses déterminants afin de développer des interventions permettant de mieux la prévenir.

En collaboration avec l'association de familles Unafam, CLAP via l’Unité de Psychoéducation et Psychothérapie (UPP) a donc réalisé une enquête anonyme auprès d’aidants familiaux accompagnant un proche avec un trouble psychiatrique. Le questionnaire numérique évaluait leurs expériences ainsi que leur niveau de dépression. Par exemple, on a demandé aux aidants :

  • à quelle fréquence ils se sentent en colère quand ils sont en présence de leur proche (expérience d’aidant),
  • ou encore à quelle fréquence ils ont l'impression que toute action leur demandait un effort (symptôme de dépression).

Quels sont les résultats principaux ?

Sur 384 aidants, se sont majoritairement des parents (88%) d’une moyenne d'âge de 62 ans qui ont participé à l’enquête. Ils accompagnent des proches qui ont 36 ans en moyenne, surtout des hommes (74%).
L’étude a permis d'identifier les principaux déterminants de la souffrance dépressive chez les aidants en psychiatrie. Ces derniers permettront de mieux reconnaître les aidants les plus vulnérables afin de mieux les accompagner. En outre, chacun des déterminants identifiés ouvrent la voie vers une optimisation des mesures de prévention et d'accompagnement des aidants.

A titre d'exemple, la détérioration de l'état de santé figure parmi les premiers déterminants de la souffrance dépressive. Ces résultats confirment la relation cruciale entre la santé physique et la souffrance dépressive chez les aidants. Ils soulignent surtout la nécessité pour les services de soins d'accorder une attention particulière à l'évaluation de l'état de santé globale (psychique et physique) des aidants familiaux. Un tel objectif peut être atteint en développant des interventions proposées précocement et systématiquement aux aidants. Dans le champ de la santé mentale, le programme BREF (co-conçu par le CLAP et l'Unafam) propose :

  1. une évaluation,
  2. un accompagnement
  3. et une orientation rapide à tous les aidants.

Le sentiment de devoir en faire plus et le stress financier figurent également parmi les principaux contributeurs de la gravité de la dépression et sont particulièrement liés au sentiment d'échec. Le fait d'être aidant implique souvent un soutien financier vis-à-vis du proche. Ainsi, de nombreux aidants sont confrontés à d'importantes difficultés dans ce domaine. De tels résultats soulignent l'importance de mettre les aidants en contact avec les assistantes sociales afin de les informer des aides auxquelles ils peuvent prétendre et de les accompagner dans des démarches administratives parfois complexes.

Les résultats ouvrent-ils d'autres perspectives ?

Ces résultats s'avèrent précieux pour optimiser certaines interventions à destination des aidants. L’une des plus efficaces est appelée "psychoéducation des aidants". Il s'agit d'informer ces personnes sur les troubles psychiques puis de les aider à développer des ressources et stratégies pour mieux accompagner leur proche tout en préservant leur propre santé.

La psychoéducation des aidants a un impact favorable sur la santé physique et psychique des aidants. De surcroit, elle est bénéfique pour les personnes avec un trouble psychique : elle a été classée par un rapport international comme le deuxième soin le plus efficace (après les traitements médicamenteux) pour la prévention des rechutes chez les personnes vivant avec une schizophrénie. Dans cette étude, il est également observé que la souffrance dépressive est plus faible chez les aidants ayant suivi un programme de psychoéducation.

On sait que la psychoéducation des aidants est une intervention très efficace. En revanche on connait encore mal le contenu qui doit être priorisé dans ce type d'intervention. Pour le définir, on s'appuie généralement sur les besoins et les attentes des aidants, ce qui semble une stratégie intéressante. Les résultats de CLAP permettent d'envisager une stratégie complémentaire : proposer de cibler les déterminants de la dépression chez les aidants. Par exemple, se sentir tendu en présence du proche est un déterminant de la souffrance dépressive. À cet égard, leurs programmes psychoéducatifs intègrent désormais des outils et des techniques relationnelles pour favoriser la communication avec son proche (y compris en situation de crise). Autre exemple, la stigmatisation de la famille est un prédicteur majeur de la dépression. Stratégiquement, leurs interventions psychoéducatives motivent les aidants à se mettre en lien avec les associations de familles afin d'élargir leur réseau de soutien social.

Existe-t-il d'autres projets en lien avec cette thématique ?

En lien avec la Fondation FondaMental, CLAP a débuté un projet de recherche national multicentrique appelé "BREFORM". Le Centre Hospitalier Le Vinatier est le promoteur de cet essai et le Dr. Romain Rey en est l'investigateur principal. Son objectif est d'évaluer l'efficacité thérapeutique du programme psychoéducatif BREF à destination des aidants sur les patients et leur famille. L’UPP propose d'évaluer l'ensemble du processus depuis la formation des différentes équipes jusqu'à la dispensation du programme. Le projet évaluera également les aspects économiques : l’hypothèse est que l'investissement financier initial nécessaire pour mieux accompagner les aidants est largement compensé par les bénéfices attendus (diminution des ré-hospitalisations et des rechutes).

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