Cultiver l’attractivité de l’exercice infirmier en santé mentale et psychiatrie par le tutorat
Mis en ligne le 12 août 2021
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a fait de 2020 l’année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier ayant pour but de mettre à l’honneur le rôle central de ces professionnels dans les systèmes de santé dans le monde. Le résumé d’orientation qui en découle construit 10 actions clés en faveur du personnel infirmier dans l’objectif d’investir dans la formation, l’emploi et le leadership.
Benoît Chalancon
Infirmier de recherche clinique au pôle urgence psychiatrique centre prévention suicide/vigilans/psymobile au CH Le Vinatier
La pénurie d’infirmiers dans le monde est évaluée à près de 6 millions de soignants (OMS). Le contexte de recrutement est plus que jamais sous tension. À une échelle beaucoup plus locale, la Fédération hospitalière de France2 (FHF) pointe également des difficultés de recrutement identifiant, dans une enquête auprès de 350 établissements de santé, une difficulté de recrutement pour 93 % d’entre eux.
En psychiatrie, l’attractivité de l’exercice infirmier est en berne ces dernières années, une récente revue de la littérature (Bujold3 ; 2020) propose trois champs d’actions pour renverser ce phénomène :
- valoriser l’expertise infirmière en santé mentale et psychiatrie
- innover en matière de formation et
- mieux comprendre les perspectives stigmatisantes des futurs infirmiers.
Ces chiffres inquiètent à juste titre, la pénurie de personnel et la stigmatisation de l’exercice infirmier en psychiatrie laissent imaginer que la santé mentale et la psychiatrie soient les premières victimes d’un manque de recrutement avec des conséquences néfastes sur les conditions d’exercice et la qualité de soins.
Comment favoriser et conserver une attractivité de l’exercice infirmier en psychiatrie ?
Si bien des enjeux nous dépassent dans cet avant-propos, j’ose croire que des leviers d’action, « à portée de main », existent pour redonner le goût de la psychiatrie aux nouvelles générations d’infirmiers. Le tutorat des infirmiers nouvellement arrivés en psychiatrie peut en être un.
Un tutorat à recréer :
Le plan Psychiatrie et santé mentale 2005/2008, construit un dispositif post-formation à l’exercice en psychiatrie. Il se compose d’un volume de formation complémentaire de 140 h et d’un accompagnement par du tutorat favorisant la transmission des savoirs au moyen d’un partage d’expériences entre pairs. Une circulaire d’application est éditée pour définir les modalités d’application.
Quinze ans après, peu d’institutions parviennent à faire (sur)vivre ce dispositif. Entre nécessité budgétaire et perte d’intérêt des nouveaux professionnels, ce dispositif se réduit d’année en année. Aujourd’hui, 88 heures d’enseignement théorique, et 10 h 30 d’accompagnement tutoral de groupe (3 séances de groupe de 3 h 30 par an et par tutoré), contre 24 heures initialement prévues de manière individuelle (deux heures/quinzaine) pour une durée initiale de six mois, soit 24 heures.
L’exercice soignant en psychiatrie, lui, ne cesse d’évoluer ces dernières années, résolument tourné vers les notions de rétablissement et des soins en réhabilitation, le paradigme de l’exercice soignant en psychiatrie s’en retrouve profondément bouleversé.
Dans ces dynamiques inverses, l’exercice du tutorat doit se réaffirmer comme un moyen de mieux accompagner les jeunes professionnels, en étant à l’écoute des besoins des nouveaux infirmiers arrivants, et en s’adaptant à la nouvelle dynamique de la psychiatrie.
1. Caractériser et uniformiser l’exercice du tutorat
Caractériser l’exercice infirmier du tutorat d’aujourd’hui est un enjeu pour la qualité des soins, nous devons le redéfinir, en nous appuyant sur près de 15 années d’exercice, et avec la volonté de répondre aux enjeux de la psychiatrie actuelle, et aux nouvelles attentes de ces professionnels.
2. Rapprocher le tutorat des instituts de formation
Le cursus de formation en sciences infirmières n’a cessé d’évoluer ces dernières années, et le tutorat doit s’appuyer sur les nouvelles compétences développées. Afin de mieux les identifier, je suggère un rapprochement des tuteurs avec les institutions de formation en soins infirmiers. Au-delà d’un partage de savoirs sur l’actualité de la formation en soins infirmiers, c’est l’occasion de rapprocher la formation initiale et le milieu professionnel. Le tutorat doit tendre vers une spécialisation de ses outils par des savoirs pédagogiques ayant fait leurs preuves.
Les analyses de la pratique réflexive et pédagogique de type GEASP (Groupe d’entraînement à l’analyse d’une situation professionnelle), de plus en plus en vogue dans les établissements de formations sanitaires et sociales, pourraient trouver dans le tutorat groupal un nouveau lieu d’exercice, et les tuteurs y développer une compétence spécifique, et identifiée.
3. Créer et entretenir une veille de la profession
Enfin, une veille sur l’actualité particulièrement dynamique de l’exercice infirmier en psychiatrie/santé mentale pourrait se traduire par la constitution d’un groupe de revue professionnelle. Ainsi, la lecture et le partage des récits viendraient nourrir la curiosité des néo-infirmiers. Des compétences acquises en formation initiale telles que la recherche d’articles professionnels, la lecture critique et la présentation d’article seraient ainsi mobilisées et cultivées dans le milieu professionnel.
4. Être à l’écoute des nouveaux professionnels
La solution à la question de l’écoute des besoins des nouveaux professionnels nous est suggérée par J. de Miribel qui, dans son travail de thèse dédié aux dynamiques de professionnalisation des infirmières en psychiatrie et santé mentale4, suggère la création d’un observatoire à la professionnalisation. Un projet régional serait l’occasion de faire collaborer les établis-sements spécialisés et de mutualiser les pratiques.
Conclusion :
Si le référentiel de l’exercice professionnel en psychiatrie évolue, les modules d’accompagnement à la pratique professionnelle doivent également évoluer dans ce sens. Les pistes de réflexions abordées invitent à un travail conjoint des équipes de tutorat, et des équipes pédagogiques des institutions de formation. À la croisée d’enjeux internationaux, et d’autres beaucoup plus locaux, l’attractivité de la profession infirmière, et plus particulièrement son exercice en psychiatrie, mérite un engagement des institutions dans une finalité qui servira la qualité des soins.
→ Découvrez la version numérique complète de Psychiatrie & Santé Mentale : les #idées des acteurs