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Explorer les addictions sous un nouvel angle : interview du Pr. Pierre Maurage

Mis en ligne le 11 février 2025

Le Pr. Pierre Maurage cherche à améliorer les modèles psychiatriques et les interventions cliniques en étudiant les mécanismes cognitifs et émotionnels des troubles de l’usage d’alcool. Lors de cet entretien, il nous dévoile ses recherches et projets en partenariat avec Le Vinatier.

•    Q : M. Maurage, pourriez-vous nous parler de votre parcours académique et professionnel, en particulier de votre expérience en psychiatrie ?

J’ai tout d’abord effectué un master en Neuropsychologie à l’UCLouvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) avant de réaliser une thèse en Sciences Psychologiques (sous la direction des Professeurs Campanella et Philippot), portant sur l’exploration électrophysiologique des déficits de reconnaissance émotionnelle dans les troubles sévères de l’usage d’alcool. J’ai ensuite effectué des séjours postdoctoraux à l’Université de Glasgow (UK, sous la direction du Pr. Belin) et à l’Université de Lille (France, sous la direction du Pr. Sequeira), avant d’être engagé comme chercheur qualifié au Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS, Belgique) et comme Professeur à la Faculté de sciences psychologiques de l’UCLouvain. Dès ma thèse, j’ai donc centré mes travaux sur une approche multidisciplinaire visant à utiliser les outils de la psychologie expérimentale et des neurosciences pour explorer les déficits cognitifs et émotionnels dans une population psychiatrique, à savoir les patients présentant un trouble sévère de l’usage d’alcool. Mon objectif est ainsi d’enrichir les connaissances psychiatriques via une perspective quantitative et empirique combinant diverses disciplines et méthodes de recherche.

•    Q : Pouvez-vous nous parler de vos recherches actuelles et celle(s) menée(s) avec Le Vinatier ?

Je suis actuellement co-directeur du Louvain Experimental Psychopathology research group (UCLEP) dont l’objectif central est d’explorer les mécanismes cognitifs, affectifs, motivationnels et interpersonnels qui sous-tendent le développement et la persistance des troubles psychologiques. Le laboratoire vise à faire progresser les interventions psychologiques et biologiques ciblant ces processus, comme le contrôle exécutif ou les émotions, dans une approche transdiagnostique. Au sein du groupe de recherche centré sur les addictions, nous développons principalement deux axes de recherche, toujours en combinant les neurosciences et la psychologie pour renouveler l’approche des troubles de l’usage d’alcool sous-cliniques (p.ex. pratique de binge drinking chez les adolescents et jeunes adultes) et cliniques (patients avec trouble sévère de l’usage d’alcool). Ces deux axes visent respectivement à mieux comprendre : (1) les difficultés émotionnelles et de cognition sociale, c’est-à-dire la capacité à détecter/interpréter les signaux sociaux envoyés par autrui, et à utiliser cette connaissance pour adapter nos interactions sociales ; (2) les troubles de l’intéroception, c’est-à-dire la capacité à percevoir nos signaux corporels et à les utiliser pour guider notre vie personnelle et sociale. Notre objectif est ainsi de renouveler les modèles théoriques et les interventions cliniques sur les troubles de l’usage de l’alcool, en montrant l’importance, au-delà des déficits cérébraux et cognitifs largement explorés, de considérer ce trouble comme étant également une maladie du lien social et une maladie du rapport au corps.

•    Q : Pourquoi avoir choisi l’établissement pour cette recherche (ou ces recherches) ?

Notre groupe a des collaborations de longue date avec plusieurs membres du Vinatier et de l’Université de Lyon, et nous avons en particulier développé des projets communs avec le Pr. Benjamin Rolland, mais aussi avec le Pr. Nicolas Franck, le Dr. Elodie Peyroux et le Dr. Guillaume Sescousse. L’expertise de ces chercheurs et cliniciens concernant la cognition sociale, les déficits liés aux troubles de l’usage d’alcool mais également l’utilisation des techniques de neurosciences pour renouveler les connaissances en psychiatrie sont reconnues internationalement, et c’est donc un privilège pour moi et mon groupe de recherche de pouvoir mener des projets communs avec ces équipes lyonnaises, ce qui est d’autant plus stimulant que nous partageons nombre de thématiques communes ainsi qu’une conception identique de l’approche scientifique en psychiatrie.

•    Q : Quelles sont les implications pratiques de vos recherches pour les cliniciens et les addictologues ?

Bien que nos recherches soient principalement fondamentales, nous avons toujours eu à cœur de réfléchir, en collaboration avec les cliniciens des structures hospitalières dans lesquelles se déroulent nos études, à l’implémentation clinique de nos études. Ainsi, nous avons actuellement des contacts réguliers avec une vaste gamme d’équipes d’addictologie en Belgique et en France afin de co-construire un renouvellement des pratiques en addictologie, notamment via l’évaluation et la réhabilitation des déficits de cognition sociale et d’intéroception, afin d’améliorer le bien-être des patients et de réduire le risque de rechute. 

•    Q : Vous avez publié il y a un peu un article sur les  « Cinq défis dans la mise en œuvre de la remédiation cognitive pour les patients souffrant de troubles liés à l’usage de substances en milieu clinique ». Vous soulignez les difficultés d’adaptation des protocoles de remédiation cognitive aux réalités cliniques. Existe-t-il des approches prometteuses qui faciliteraient cette intégration en milieu de soin ?

Il y a en effet un hiatus entre les évolutions majeures permises ces deux dernières décennies par la recherche fondamentale en psychiatrie et l’absence d’impact que ces progrès théoriques et empiriques ont eu sur la pratique clinique concrète. Cet article, co-écrit notamment avec le Pr. Rolland, avait donc pour but de montrer aux praticiens/cliniciens l’intérêt de la remédiation neuropsychologique en addictologie, mais aussi d’identifier les obstacles majeurs rencontrés actuellement concernant la transposition en pratique clinique quotidienne des nouvelles propositions thérapeutiques offertes par les neurosciences et la neuropsychologie. À partir de ce constat, nous avons conçu cet article comme un guide pratique permettant aux cliniciens désireux d’introduire la remédiation cognitive dans le parcours thérapeutique de leurs patients d’identifier les questions centrales auxquelles ils doivent répondre pour assurer une implémentation réussie, mais aussi de proposer des réponses pragmatiques à ces questions cliniques. Nous sommes convaincus qu’un dialogue renforcé entre chercheurs et cliniciens est essentiel pour que les avancées scientifiques se traduisent en une transformation effective des pratiques cliniques.

•    Q : Pensez-vous que la remédiation cognitive pourrait bénéficier à d’autres troubles psychiatriques ou neurologiques liés aux addictions ? Si oui, comment ?

La remédiation cognitive est déjà largement implantée dans la prise en charge des troubles neurologiques, où la neuropsychologie occupe une place centrale, mais également dans d’autres troubles psychiatriques (par exemple dans les troubles psychotiques, comme les travaux de l’équipe du Professeur Franck le démontrent). Cependant, le champ des addictions, en particulier dans le monde francophone, reste encore fort hermétique à l’utilisation de la neuropsychologie pour traiter les patients présentant des troubles de l’usage de substances. Nous sommes persuadés que la neuropsychologie devrait prendre une place plus importante en addictologie, pour évaluer et réhabiliter les difficultés cognitives, émotionnelles, sociales et corporelles des personnes présentant un trouble de l’usage d’alcool, mais également dans les autres troubles addictifs, puisque la neuropsychologie est couplée à une approche transdiagnostique, dans laquelle le traitement porte sur des processus déficitaires, indépendamment du diagnostic et donc de la substance utilisée.

•    Q : Pourriez-vous nous parlez de vos futures collaborations avec le Vinatier ou des projets que vous souhaiteriez promouvoir ou développer avec le Vinatier ?

Nous avons de nombreux projets à différents stades de développement avec Le Vinatier, en particulier concernant l’exploration de la cognition sociale dans les troubles sévères de l’usage d’alcool, mais également dans l’étude des bases cérébrales de ces troubles. Nous avons également pour ambition de développer dans les années à venir des projets de thèse communs portant sur une approche neuropsychologique des troubles intéroceptifs et de leurs interactions avec les difficultés cognitives classiquement rapportées dans ces populations. De manière plus large, cette interview est une occasion de lancer un appel aux chercheurs et cliniciens du Vinatier qui souhaiteraient collaborer autour d’une approche en neurosciences et neuropsychologie des troubles psychiatriques. Notre groupe serait ravi de développer de nouveaux projets de recherche fondamentale ou appliquée !


Le Vinatier remercie le Professeur Pierre Maurage pour sa participation à l'élaboration de cette interview et lui souhaite une très belle continuation dans ces projets.

 

 

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