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Cannabis et schizophrénie : une relation complexe au cœur de la recherche
Mis en ligne le 21 octobre 2024
Alors que la méta-analyse de 2023* a souligné le rôle complexe du cannabis dans l'apparition de la psychose, notamment en mettant en évidence une augmentation du risque de développer des troubles psychotiques chez les consommateurs, une nouvelle étude menée par Le Vinatier et ses partenaires se concentre sur un aspect cognitif encore peu exploré. En effet, si l'usage du cannabis est associé à un risque accru de transition vers des épisodes psychotiques, cette relation s'avère particulièrement marquée chez les individus souffrant de schizophrénie, où l'usage de cette substance est nettement plus fréquent que dans la population générale. Ce nouveau projet vise à mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques et cognitifs sous-jacents à cette interaction, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour des thérapies ciblées.
L'impact paradoxal du cannabis dans la schizophrénie
Les scientifiques s'intéressent de plus en plus aux effets paradoxaux du cannabis sur les symptômes de la schizophrénie. D'un côté, le tétrahydrocannabinol (THC), principal composant psychoactif du cannabis, est reconnu pour son rôle néfaste dans l'aggravation des symptômes positifs de la schizophrénie (hallucinations, délires), en activant les récepteurs cannabinoïdes de type 1 (CB1). D'un autre côté, le cannabis pourrait avoir un effet bénéfique en réduisant les symptômes négatifs, tels que le retrait social ou l'apathie, probablement via d’autres composés du cannabis .
Cette interaction complexe pousse les chercheurs à questionner le rôle différencié du cannabis et à envisager une approche plus nuancée dans le traitement des symptômes de la schizophrénie liée à la consommation de cannabis. Le projet en cours vise précisément à tester cette hypothèse, en se focalisant à la fois sur les symptômes positifs et négatifs, mais aussi sur leurs bases neurobiologiques.
Une approche translationnelle pour étudier le "reality-monitoring"
Pour approfondir cette compréhension, les chercheurs ont développé une tâche originale permettant de mesurer un aspect des symptômes positifs de la schizophrénie : le "reality-monitoring". Ce concept, déjà étudié chez l'humain, est lié aux hallucinations et à la capacité de distinguer entre ce qui est réel et ce qui est imaginé. En utilisant des modèles animaux, l'équipe explorera comment la consommation de cannabis influence cette fonction cognitive et comment cela se traduit par des symptômes psychotiques.
Ce modèle permet une évaluation fine du rôle du récepteur CB1 dans le développement des symptômes positifs, et de leur interaction avec les autres symptômes de la schizophrénie. Cette approche, qui repose sur des données précliniques obtenues dans des laboratoires de Bordeaux (Université, INRAE, UMR1286, INSERM et U1215), permettra de mieux cerner les mécanismes neurobiologiques impliqués dans cette dynamique.
Des études chez l'humain pour compléter les données animales
En parallèle de ces travaux sur des modèles animaux, le projet s'étend également aux études chez l'humain, en collaboration avec plusieurs établissements hospitaliers et centres de recherche. L'objectif est d'évaluer l'impact du cannabis dans des conditions expérimentales contrôlées, notamment à travers des manipulations pharmacologiques réalisées en collaboration entre le centre de recherche en neuroscience de Lyon (CRNL) et l’établissement Le Vinatier. Ces études permettent d'observer directement les effets du THC sur les symptômes de patients schizophrènes, en les comparant à des individus non consommateurs.
Ces travaux en laboratoire seront complétés par des évaluations dans des contextes réels, grâce à des outils de monitoring écologique (EMA). Cette méthodologie, qui implique le suivi des patients dans leur quotidien, permettra d'observer les fluctuations des symptômes en fonction de la consommation de cannabis et d'autres facteurs contextuels (Le Vinatier, CH Charles Perrens, CHU de Saint Etienne).
Vers de nouvelles perspectives thérapeutiques
Ce projet innovant, mené à l'échelle nationale avec des partenaires comme le CH C. Perrens, le CNRS, l’INSERM, l’INRAE, le CHU Saint-Étienne et d'autres, ouvre des perspectives importantes pour le traitement des comorbidités entre la schizophrénie et le trouble d’usage du cannabis. En comprenant mieux les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent cette relation complexe, les chercheurs espèrent développer de nouvelles approches thérapeutiques plus ciblées, permettant de traiter simultanément les symptômes positifs et négatifs, tout en tenant compte des effets différenciés du cannabis.
En définitive, ce projet pourrait bien transformer notre approche des soins en psychiatrie, en intégrant les dernières avancées sur l'impact du cannabis et ses interactions avec les troubles psychotiques.
→ Pour plus de détails sur la méta-analyse de 2023 sur le rôle complexe du cannabis dans la psychose, veuillez consulter l'article disponible sur le site du CRNL